Restauration

Père & Fish : retour d’expérience de deux restaurateurs face à la crise.

Par 
Clélia
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11/10/2023

Charles Cagnac et Antony Giordano sont tous deux co-fondateurs de Père & Fish.

Antony est fils de poissonnier et il a donc souhaité représenter les valeurs du business familial en faisant découvrir le poisson autrement dans un restaurant : par le partage, l’amour du poisson et le respect des produits et de l’environnement.

Ce projet de restauration a été lancé suite à un projet d’école qui est devenu réalité, avec deux autres associés, Ava Maisani Casanova et Alex Rafaitin.Après avoir participé et remporté le concours Bourse Badoit 2018, le restaurant Père & Fish a vu le jour dans le 9ème arrondissement et l’équipe travaille actuellement à une deuxième ouverture à Lille, après le déconfinement. Ils ont démarré leur activité avec le service de burgers de poisson gourmets afin de populariser le poisson, pour ensuite mettre à disposition de nouveaux produits. Divers produits liés à la street food de poisson afin de développer leur offre.

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- Comment avez-vous géré l’annonce du confinement et comment vous êtes-vous organisés dans l’urgence ?

C’est arrivé vite ! On s’en souvient bien… Le samedi au soir, nous étions en train de travailler et il s’agissait de notre dernier service, mais nous ne le savions pas ! Il y avait du monde donc on était contents, puis tout à coup nous avons appris la nouvelle annoncée par le premier ministre : la fermeture de tous les établissements. Nous avons dû réagir tout de suite, notamment en faisant en sorte de terminer un maximum de marchandises le soir même, se préparer à la fermeture immédiate et prendre en compte toutes les éventualités.

Heureusement, notre équipe travaille avec des prestataires qui sont assez réactifs ce qui nous a permis de diminuer les charges rapidement. Ainsi, nous avons pu envisager plus sereinement la suite et la possibilité que cela dure. Petit à petit, nous avons contacté les prestataires les uns après les autres, afin de discuter et de trouver des solutions.

Nous avons ensuite contacté notre banque afin de la questionner sur ce qui était faisable par rapport aux prêts, aux différentes échéances.

- L’autre point important était d’expliquer aux employés ce qui est en train de se passer : c’est la partie la plus compliquée, puisque ça fait forcément mal au coeur !

Tant bien que mal, nous arrivons au fur et à mesure à mettre le bateau à flot ! Se voir annoncer qu’on ne peut plus rentrer d’argent et cela pour un temps indéterminé alors que tout est encore à payer, c’est compliqué et c’est un gros coup de massue.

- Quelle a été votre démarche pour gérer vos stocks lors de l’annonce du confinement ?

Le premier réflexe a été d’essayer de sauver nos stocks pour ne pas gâcher les produits frais en stoppant l’exercice de l’activité. Ne travaillant qu’avec des produits frais changeant d’un jour à l’autre, le restaurant n’est jamais trop chargé en marchandises. Dans notre cas, la question de la gestion des stocks n’a donc pas été des plus problématiques : il s’agissait d’à peu près 300 ou 400 euros, ce qui est embêtant si ce n’est pas écoulé, mais pas dramatique.

Nous avons donc d’abord décidé d’organiser un petit déjeuner avec les employés et de leur distribuer en interne les ressources restantes afin qu’ils puissent se faire plaisir et avoir quelques provisions pour le confinement. Tout ce qui n’a pas été pris par les employés, comme les stocks de pommes de terre ou d’oignons, a été placé dans la rue accompagné d’une pancarte “servez-vous” : c’est parti assez rapidement.

Un peu comme tout le monde, nous avons fait ce que nous avons pu pour répondre à l’urgence de la manière la plus efficace et responsable possible.

- Quelle a été votre utilisation de Skello depuis le confinement ?

Du premier lundi de confinement jusqu’au vendredi, nous avons indiqué, grâce à la nouvelle absence “chômage technique” enregistrable sur Skello, quels employés étaient mis en activité partielle. Grâce aux conseils de nos référents Skello, nous avons su activer rapidement cette nouvelle absence spécifique au covid-19 pour l’entièreté de nos effectifs, à l’exception de Antony, qui est dirigeant et qui n’y a donc pas droit.

L’avantage de cette nouvelle absence est que ses impacts sont directement calculés sur Skello. En fonction du contrat du salarié concerné, le nombre d’heures dans la semaine est calculé.

- Quelle est la fréquence de votre communication avec vos employés depuis l’arrêt de votre activité ? Arrivez-vous à garder le lien avec eux ?

Depuis les débuts, nous communiquons beaucoup avec nos employés : on est tous potes et notre équipe est soudée ! Nous avions donc déjà un groupe whatsapp qui nous permet encore de tenir informés nos employés de ce qu’il se passe, répondre à leurs questions concernant leurs salaires, les démarches de l’entreprise, etc. Toutes les communications se font là dessus.

Nous communiquons aussi par téléphone : on appelle les salariés afin de maintenir le lien et de les mettre sur certaines missions s’ils le souhaitent : certains sont formés sur les RH, d’autres sur les achats… Les employés sont assez demandeurs car depuis le début, ils sont avec nous pour faire évoluer Père & Fish.

- En parlant de communication, quel canal avez-vous privilégié afin d’annoncer à vos employés leur mise au chômage technique ? L’avez-vous fait par courrier ?

Nous l’avons fait “comme à la maison”, c’est à dire sur whatsapp. On comprend donc pourquoi la nouvelle fonctionnalité Skello qui permet de générer les documents de chômage partiel est très utile.

Chez Père & Fish, nous sommes une petite équipe, on se parle donc très régulièrement et cette question du chômage partiel était très attendue. Nous avons la chance d’avoir des salariés compréhensifs, qui nous ont dit de faire au mieux pour l’entreprise.

- Quelle a été la démarche pour la mise en place du chômage partiel ?

Nous avons fait la demande à notre comptable. Un dossier a fait suite et nous avons bien sûr dû justifier cette demande. Avec notre concept de restauration rapide, la justification n’a pas été des plus faciles puisque notre activité pourrait être maintenue avec la livraison. Dans notre cas, nous n’avons pas envisagé la livraison puisque ce n’est pas du tout rentable.

- Avez-vous déjà reçu une réponse à cette demande ?

Pour l’instant, la demande que l’on a faite auprès de notre comptable a été acceptée par l’Etat et nous attendons maintenant l’outil que l’Etat met en place afin de rentrer l’ensemble des données des salariés. Apparemment, cet outil est distribué aux comptables au compte-gouttes, certainement pour ne pas être sous l’eau. Notre propre cabinet comptable ne l’a pas encore eu mais on sait que c’est possible aussi, pour certains comptables, de tout rentrer à la main.

En attendant la troisième étape du process qu’est le remboursement, nous piochons dans notre trésorerie pour payer les salaires, cela fait un peu peur mais tout le monde est logé à la même enseigne.

- D’autres outils, autres que Skello, vous ont-ils aidés depuis le début de la crise ?

Pour nos finances, nous utilisons Agicap. C’est une solution que beaucoup de restaurateurs commencent à connaître et qui permet d’apprécier sa trésorerie au mieux et de faire des prévisions dans le temps, des scénarios, etc.

Pour le reste, disons qu’il faut être soi même un minimum intéressé par ce qu’il va se passer par la suite ! Chez Père & Fish, nous créons nos propres tableaux excel, sur lesquels nous travaillons sur des projections, en collaboration avec nos comptables, afin de presser un maximum la trésorerie.

En ce moment, notre travail est double : nous devons préparer notre retour sur Paris, tout en anticipant notre seconde ouverture à Lille. Ces deux projets pèsent lourd et on doit les coordonner en même temps et dans l’incertitude, donc heureusement que l’on a des outils tels que Skello ou Agicap pour fluidifier un peu le travail.

- Si vous parlez de nouvelle ouverture, cela veut dire que vous êtes assez optimistes par rapport à la reprise ! Comment l’envisagez-vous ?

On est en plein dedans ! Nous parlons beaucoup aussi de la reprise, car c’est important pour le moral de penser à autre chose et de passer à autre chose. Ces dernières semaines, notre focus a été la fermeture du restaurant et les frais associés que l’on pourrait sauver au plus vite. Les deux questions étaient : comment va-t-on reprendre et quand va-t-on reprendre ?

Aujourd’hui, on discute avec d’autres restaurateurs et on pense au redémarrage. Par exemple, nous étions l’autre jour dans la rue Faubourg Poissonnière et discutions avec Victor, de Barak, restaurant de cuisine méditerranéenne. Avec les discours récents du gouvernement, nous avons entendu beaucoup de sons de cloches différents : certains pensent que l’activité ne reprendra pas avant septembre, et d’autres envisagent une reprise plus tôt. C’est intéressant de discuter des possibilités et des stratégies de chacun dans la rue du restaurant, puisqu’on a souvent affaire à des jeunes de notre âge et on est tous assez unis.

Chez Père & Fish, nous avons donc commencé par calculer dans quel cas une réouverture serait envisageable. Notre business model est essentiellement sur place, bien que nous fassions de la restauration rapide ! En général, nous avons 1 repas sur 3 emporté, puisque nous travaillons quand même dans un quartier de bureau. La livraison se situe, elle, entre 10 et 13% de notre chiffre d’affaires : nous nous en servons donc pour faire du volume et non pas pour marger. Si nous ne comptions que sur l’activité de livraison, il faudrait donc que l’on vende un nombre défini de menus par jour, et cela avec un seul employé sur place. Actuellement, nous ne savons pas si cela est réalisable pour nous… Si l’on choisissait cette option de livraison, il faudrait probablement débloquer certains salariés en activité partielle et donc les payer : c’est un pari risqué en termes de financement.

Nous avons donc pris la décision d’attendre l’annonce de la date de début de la reprise pour les restaurateurs, afin d’anticiper au moins 10 à 15 jours à l’avance en se réunissant avec l’équipe. L’idée serait de revoir les fondamentaux, nettoyer le restaurant, tout mettre en place avant le Jour J et recommencer petit à petit une activité à emporter. Si le quartier se repeuple un peu, nous pourrons envisager aussi de la livraison afin de redonner une dynamique. Nous pourrions ouvrir en même temps que les autres restaurants du coin afin de lancer un mouvement, tout en respectant bien sûr les mesures sanitaires.

Au moment de la réouverture, il faudra réussir à évaluer si cela est possible et à partir de quand on pourra reprendre une activité plus ou moins normale : le but n’étant pas de reprendre pour reprendre ! Si cela met en danger notre activité et nos collaborateurs, c’est inutile.

- Avez-vous sollicité des aides de l’Etat pour pallier à vos problèmes de trésorerie ?

Pas spécialement, sans compter la mise en place du chômage partiel et le fonds de solidarité de 1500 euros que nous avons obtenu.

Nous sommes éligibles au fonds de solidarité après avoir fait la demande sur impots.gouv, dans “votre espace particulier” et non pas “espace professionnel” pour ceux qui ne l’auraient pas encore fait ! À partir de là, vous aurez accès à un espace spécialement dédié au covid et vous pourrez y entrer votre nom, votre numéro cadis et quelques autres données (le chiffre d’affaires au mois de mars 2019 et le chiffre d’affaires réalisé sur les jours de mars 2020). Le calcul se fera ensuite automatiquement et vous saurez si vous êtes éligible après quelques jours ou semaines.

👉 Il y a 4 conditions pour obtenir ce fonds de rémunération pour le dirigeant :

  • Le restaurant doit faire moins d’1 million de chiffre d’affaires sur l’année précédente
  • Moins de 50% de votre chiffre d’affaires doit être réalisé sur le mois comparativement à l’année précédente
  • Votre entreprise doit avoir moins de 10 employés
  • Le bénéfice doit être inférieur à 60 000 euros

Concernant les prêts qu’il est possible d’obtenir, nous sommes en train de voir si nous pouvons avoir le prêt PGE auprès de la banque ainsi que le prêt “Atout” proposé par la BPI. Ces deux prêts sont faits pour sauvegarder la trésorerie des entreprises en période de crise, bien qu’ils aient tous les deux des critères différents et des méthodes de remboursement propres.

De notre côté, nous avançons sûrement sur le prêt PGE avec notre banque pour pouvoir demander 25% de notre chiffre d’affaires et reprendre un peu de souffle ! Tout de même, il ne faut pas se leurrer, cela reste un emprunt et on va finir par devoir le rembourser. La crainte que l’on peut avoir aussi, c’est que les banques en distribuent énormément et qu’elles s’enflamment ensuite sur les taux… mais en temps de crise, nous n’avons pas vraiment le choix et cela reste une bonne mesure.

Tout de suite, nous essayons de sauver les meubles à court terme, pour le reste, nous verrons par la suite : nous avons confiance en la reprise et en nos clients, parce qu’on sait que les gens voudront se faire plaisir au moment où tout va repartir ! 😊

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